Lettre de l'abeille noire aux humains

 

 

 

Je suis l'abeille noire. Je suis née il y a un million d’années en Europe.

 

Ma mère avait l’habitude de faire son nid dans les arbres. Puis le climat s’est refroidi. J’ai dû m’adapter. J’ai fait mon nid dans des cavités aussi fermées que possible. Et là, j’ai appris à y garder constante la température. Quel confort ! Pour chauffer la maison, ce n’est pas du bois que je brûle, c’est du miel. J’en fais donc, l’été, de grandes réserves pour passer l’hiver. Hum ! Le miel vous l’aimez ? J’en fais beaucoup et même souvent trop, car on ne sait jamais comment sera l’hiver.

 

 

 

Apis mellifera mellifera est mon nom de sous-espèce. J’ai beaucoup de cousines dans les régions d'Europe. En fait, je suis à fond pour le local. Ainsi, je m’adapte aux floraisons de mon pays. Par exemple, dans les Boutières en Ardèche, j’anticipe la floraison des châtaigniers. Quelque temps avant, je fais naître tellement d’abeilles dans mon couvain que je peux faire face à la formidable récolte attendue. C’est mon savoir-faire ! Mais local ne veut pas dire consanguinité. J’entretiens soigneusement la biodiversité de ma famille. Mes reines aiment à choisir, pour leur vol nuptial, les aires de cols entre les vallées. Elles acceptent volontiers dans ces « congrégations de mâles » une petite promenade avec des compagnons venus de colonies plus éloignées.

 

 

 

Ainsi, petit à petit, j’ai occupé toute l’Europe de l’Ouest, des Pyrénées à la Scandinavie en formant une très grande famille, en m’adaptant au mieux à chaque territoire. J’ai fait un pacte avec la nature. Depuis des millions d’années, en échange d’un peu de nectar et de pollen, j’assure un immense service de fécondation des fleurs. Oh, je ne suis pas la seule, mais j’ai la force du nombre. Dans mes nids, on compte des dizaines de milliers d'ouvrières. J’ai fait un pacte avec les humains. Ils font leurs courses chez moi : miel, cire, pollen, propolis, gelée royale… En échange, ils m’offrent des logements tout confort, bien qu’un peu monotones… Toutefois, je sais rester indépendante. J’aime à me retrouver dans de bonnes cavités choisies par moi seule, comme des arbres creux par exemple.

 

 

 

Et si les hommes me cherchent un peu trop, j’ai mes dards pour

 

les tenir à distance. On raconte que moi, l’abeille noire, je serais agressive et que mes cousines étrangères seraient plus douces. Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Tout est dans l’art de se comprendre et de se respecter !

 

 

 

Depuis quelques dizaines d’années, ma vie est devenue très difficile, voire impossible. Les humains rapportent sans cesse des reines du monde entier, ou créent des reines hybrides (comme pour les semences) et les installent dans nos ruches. Les mâles qui naissent ensuite, fécondent les reines vierges alentour. Naissent alors de nouvelles reines dont certaines font de belles colonies, mais de nombreuses autres sont exécrables. C’est la loterie génétique. Notre variété, la variété génétique de l’abeille noire, avec ses habitudes locales, en est complètement déstabilisée.

 

C’est un véritable désastre !

 

 

 

À vous les humains de redresser la situation ! Je vous propose de refaire un pacte entre nous. Car je sais bien que vous avez besoin de nous.

 

 

 

Vous allez donc créer des lieux où nous resterons en grand nombre sans apport de reines étrangères, sans chimie, sans sucre, sans prélèvements excessifs et, s’il vous plaît, sans insémination artificielle, j’ai horreur de cela. Alors, dans ces aires de repos génétique, vous me laisserez un peu tranquille et je vais recouvrer mes forces.

 

N’oubliez pas que j’ai vécu des millions d’années dans une nature en pleine évolution avec de grands bouleversements climatiques. J’ai encore d’immenses réserves de forces et de capacité d’adaptation.

 

Ce n’est pas que je veuille redevenir totalement sauvage. Je veux bien poursuivre ma tâche avec vous. Je vous aime. Aimez-moi en retour. Ne me considérez pas comme une usine à miel. Je suis votre alliée pour le futur.

 

 

 

Bien cordialement vôtre, Apis mellifera mellifera